Un siège interminable
Passchendaele
Légende: Artillerie de campagne montant au front, vers 1916-1918
Depuis la fin juillet 1917, le secteur de Passchendaele avait été la cible d'attaques sanglantes de la part des Anglais qui en avaient tiré peu de gains. À l'automne, des troupes britanniques déprimées pataugent toujours dans un champ de boue immonde alors que les hauteurs sont encore contrôlées par les Allemands. Il est urgent de s'emparer de ce petit plateau ou de reculer pour aller cantonner plus loin. Les Canadiens reçoivent l'ordre de retourner dans ce secteur où ils sont passés en 1915 et d'y prendre la côte devenue méconnaissable. Le système d'écoulement des eaux a été détruit. Les canons s'enfoncent dans la boue jusqu'aux essieux. Dans la plaine bouleversée, couverte d'armes inutiles, pourrissent des milliers de cadavres d'hommes et d'animaux. L'air est putride et les pluies qui s'abattent sur la région confèrent à l'ensemble l'atmosphère d'un cauchemar. Les vétérans de la Somme revivent ici une situation qu'ils ont bien connue.
Au plan stratégique, la conquête de Passchendaele ne sera pas significative dans la marche des Alliés vers la victoire. Tactiquement réalisable, la mission sera très onéreuse. Currie informe ses supérieurs que l'opération peut entraîner jusqu'à 16 000 pertes. Passchendaele vaut-elle ce sacrifice ? Les Britanniques répondent oui, car il permettra d'accentuer la pression au nord du front, et de donner aux Français le répit dont ils ont besoin.
Les Canadiens reprennent donc ces minutieux préparatifs qui leur ont valu ces succès enregistrés depuis le début de l'année. Pour éviter aux artilleurs de rajuster constamment leur tir, on construit des bases pouvant supporter les canons et, pour assurer l'approvisionnement des troupes, on fait en sorte que, sur les 15 kilomètres de marécages qui séparent Ypres du front, les routes soient carrossables.
Le 18 octobre, les 3e et 4e Divisions canadiennes prennent place devant l'objectif. Sous la pluie froide qui, le 26 octobre, mouille ce bourbier large de près de trois kilomètres, l'attaque débute. N'ayant pas pu surprendre l'ennemi, deux bataillons se lancent contre le piton de Bellevue. Les hommes sont décimés par les mitrailleurs abrités allemands. Finalement, un petit groupe du 43e Bataillon parvient à prendre pied et à s'accrocher. Ceux du 52e bataillon, stimulés par l'exploit de leurs collègues, s'emparent de six blockhaus.
La demi-victoire de ce 26 octobre a coûté cher aux Canadiens qui dénombrent 2 500 pertes, mais Passchendaele est encore hors de portée. Le 30 octobre, une nouvelle progression de 800 mètres est entreprise au coût de 2 300 pertes. Il reste encore 400 mètres à parcourir pour occuper les restes du malheureux village. Les artilleries lourde et de campagne sont avancées lorsque les 11e et 2e Divisions remplacent les 3e et 4e. Le 6 novembre, les opérations sont terminées, elles ont occasionné 16 041 pertes, dont 3 042 tués.
Tout cela pour avancer de cinq kilomètres dans un saillant arrosé sur trois côtés à la fois. Quelques mois plus tard, les Britanniques abandonneront Passchendaele. Sur la Somme, les Canadiens ont mérité huit Croix de Victoria ; à Passchendaele, ils en recevront neuf. Quant à savoir lequel de ces deux secteurs d'opérations a été le plus exécrable, cela demeure une question sans réponse définitive de la part des acteurs canadiens des deux combats.
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