La cristallisation des enjeux

Le bilan

Le nationalisme canadien en pleine croissance

«Amazons Battalion» de Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, en 1901

Légende: «Amazons Battalion» de Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, en 1901

Retenons les conclusions suivantes sur la participation du Canada à la guerre d'Afrique du Sud : elle a provoqué la socio-politique dans notre pays ; les hommes qui y ont participé en sont revenus avec le sentiment d'être plus canadiens qu'ils ne l'étaient avant leur départ ; la réputation du professionnalisme militaire britannique, tant vanté par les officiers anglais servant au Canada, a été fortement érodée. La différence évidente existant entre Canadiens et Britanniques n'a pas échappé aux quelques milliers d'hommes et de femmes qui se sont rendus en Afrique du Sud. L'eau et la nourriture, distribuées d'après la logistique anglaise, leur ont souvent manqué. Dans les hôpitaux militaires, malades et blessés étaient davantage soignés en fonction de leur grade plutôt que de leurs besoins. La réponse canadienne à ces constatations n'aura pas nécessairement que des effets positifs. Ainsi, des choix « nationaux » seront faits par la suite et coûteront cher.

Au plan sociologique, on verra s'accentuer la tendance des Canadiens à vouloir servir sous les ordres de leurs officiers, ce qui favorisera le maintien de liens entre ces derniers et les hommes politiques. D'autant plus que, sur le terrain, les commandants canadiens en opération risquent d'avoir comme chefs directs des Britanniques. La subdivision de la loyauté est porteuse de nombreuses difficultés qui s'étaleront jusqu'à la fin réelle du régime néo-colonial sous lequel les militaires du Canada évolueront durant la première moitié du XXe siècle.

Ainsi, contrairement à ce que plusieurs ont d'abord cru, la centralisation impériale ne progresse pas entre 1899 et 1902 et, à bien des égards, le nationalisme canadien est stimulé par l'expérience. Cela ne signifie pas que le débat entre nationalistes et impérialistes soit terminé, d'autant plus que la Ligue nationaliste de Bourassa trouve son origine dans cette guerre.

Plus de 8 000 hommes et femmes, incluant le bataillon d'Halifax, ont directement participé à l'effort de guerre canadien en Afrique du Sud. Au moins 270 d'entre eux sont morts, soit au combat (89), soit de maladie (181), et 252 ont subi des blessures légères ou graves, comme la perte d'un membre 47. À la suite du conflit, 16 veuves, 24 orphelins et 72 personnes à charge des disparus ont sollicité la contribution du Fonds patriotique (Patriotic Fund). De plus, cet organisme a reçu 712 demandes d'hommes dont le gagne-pain avait été réduit à cause des blessures subies ou des maladies contractées là-bas : 612 d'entre eux recevront une compensation en argent. Il faut souligner que la maladie a été un ennemi plus efficace que les Boers eux-mêmes, car, même si la fièvre entérique ne tuait pas toujours, elle affaiblissait le corps et l'âme de ceux qui en étaient atteints.

À leur retour, la plupart de ces hommes portaient le souvenir de l'horreur de leurs combats, de la maladie, de la fatigue, des privations, de la monotonie et de la discipline. Ceux du premier contingent ajoutèrent à ce souvenir l'inexpérience, la confusion et la désorganisation des premières semaines alors qu'ils durent participer à pied à une campagne très mobile et négligemment dirigée par le haut commandement. Longtemps après, leur mémoire substituera à ces images troublantes celles d'aventures faites d'endurance, de courage et d'éternelles amitiés forgées sur le théâtre des combats. Les quatre Croix de Victoria décernées à des Canadiens ont récompensé la valeur des efforts de tous les participants.