La vie quotidienne en Nouvelle-France
Les soldats
Courir les jupons
La galanterie des militaires est légendaire, et bien des jeunes femmes n'y sont pas insensibles. Les soldats sont, après tout, des hommes jeunes et en santé, à l'oeil vif. Le canonnier bombardier Bonin dit encore que son séduisant camarade parisien s'amusait à briser le cceur des femmes, « qu'il s'étudiait à tromper » 97.
Le désordre que crée une jeunesse quelquefois bruyante, enivrée par le vin, la musique et les flirts, n'a rien de surprenant. Mais quand la tranquillité publique en est affectée, la morale du temps condamne le tout sous le nom de « libertinage ». Un gouverneur général particulièrement de mauvaise humeur note que certains de ses soldats « mènent une vie dévergondée avec toutes les libertines qui les mettent hors de service. On en trouve ordinairement les nuits, yvres et courant les rues » 98. En effet, La Diane, à l'aube, devait trouver ses soldats assez peu en état de faire leur service ! Il recommande donc de construire des casernes pour calmer les mœurs - illusoire solution à l'exubérance de la jeunesse militaire, comme on le constate encore de nos jours !
On ne peut éviter d'évoquer les divertissements érotiques payés. On sait qu'en Europe les prostituées, ces « filles de mauvaise vie », suivent les armées, mais, curieusement, on ne trouve pas en Nouvelle-France d'exemples précis de ces bordels ambulants. Il faut dire que les expéditions de raids se déroulent dans des conditions extrêmement rudes, qui interdisent par le fait même la présence de ces femmes. Par ailleurs, dans les villes où les troupes sont souvent postées de façon sédentaire, il existe des maisons closes dont la clientèle est majoritairement constituée de soldats et de marins. On trouve, par exemple, une « maison de femmes et de filles pour y commettre le crime d'impudicité » 99 à Montréal, dès 1667, époque où une partie du régiment de Carignan se trouve dans la ville. En 1686, le capitaine Crisafy tente, sans succès, d'empêcher ses hommes de fréquenter la maison « de méchant commerce » de Marie Brunet, dite Belhumeur, à Montréal. Certaines prostituées opèrent sans avoir de lieu précis, telle cette joyeuse fille qui passe une nuit d'été de 1696 couchée près des remparts de Québec avec trois soldats, ou cette Montréalaise trouvée en compagnie de deux soldats « couchés tous ensemble » 100 dans une maison désaffectée, en 1754.
L'île Royale présente un problème particulier du fait que les soldats n'y ont pour ainsi dire à peu près aucun divertissement, à part la boisson. On peut jouer, certes, mais on se lasse des cartes et des quilles. Les femmes sont rares et les tarifs des prostituées sont élevés; les soldats ont peu d'argent et sont souvent endettés. Isolés dans ce lieu au climat rude et brumeux, beaucoup d'entre eux, découragés de leur sort, ne trouvent refuge que dans l'alcool. Les cabarets de la ville sont par conséquent très fréquentés, mais en plus, tous les jours, des soldats se sauvent des chantiers pour aller simplement s'enivrer dans les bois environnants.
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