La vie quotidienne en Nouvelle-France

Les soldats

L'aménagement de la chambre

Fort Chambly

Légende: Fort Chambly

En principe, chaque chambre doit comporter un foyer pour le chauffage et la cuisson des aliments, une table et deux bancs, et autant de lits que la grandeur de la pièce permet d'en contenir. Ces meubles ne sont pas peints. On peut aussi y trouver une planche à pain, un râtelier pour les fusils, et des chevilles sont enfoncées dans les murs de la pièce pour soutenir l'équipement et les effets des soldats. La chambre doit avoir une fenêtre vitrée, munie de volets de bois. Les planchers, en bois également, sont laissés sans tapis, et les murs sont blanchis.

L'espace réservé à chaque homme est très limité, car on met le plus de lits possible dans une chambre, et le plus de soldats possible par lit : ils sont en effet trois à partager la même couche ! Cet aménagement part du principe, alors universellement reconnu, que deux soldats dorment tandis que le troisième monte la garde, comme l'explique l'ingénieur Chaussegros de Léry dans son traité des fortifications. Mais, comme toujours, les principes ne correspondent pas nécessairement à la réalité, et le troisième homme est souvent présent en même temps que les deux autres pour dormir. Selon un document de l'époque, « le soldat qui se trouve au milieu est exactement à la torture. Ces hommes pendant l'été sont accablés de chaleur, ne se reposent point, la sueur qui se communique et le mauvais air qui en résulte causent beaucoup de maladies » 87. Les artilleurs, soldats d'élite, sont plus favorisés que les fantassins et n'ont « qu'un camarade de lit, car l'on couchait deux à deux » 88 chez les canonniers-bombardiers, rapporte l'un d'eux.

Le lit réglementaire est en chêne. Il doit mesurer 1,30 m de large sur 1,86 m et avoir de 32 à 40 cm de haut. On y met, dans l'ordre, un matelas et un chevet (traversin) bourrés de laine et une paillasse dont la paille doit être changée au moins deux fois par année. Ces trois éléments sont en grosse toile bise. S'y ajoutent une paire de draps en toile semi-blanchie et une couverture de laine blanche, brodée au centre d'une fleur de lys, assez grande pour couvrir tout le lit puisqu'elle mesure 2,70 m de long sur 2,27 m de large. Malgré les règlements, il arrive que les lits soient trop courts, que l'on ne lave pas assez fréquemment les draps et que l'on ne change pas les paillasses comme prescrit, d'où il résulte qu'une poussière de paille se dépose partout sur les effets des soldats. À Louisbourg, où on ne change les paillasses qu'une fois l'an, la chambre devient infestée de vermine en été, et la plupart des soldats préfèrent aller dormir sur les remparts, à la belle étoile.

Les autorités peuvent innover au besoin. Ainsi, à Louisbourg, pour répondre au problème d'espace dans les casernes, on décide de fabriquer des lits superposés, moins larges, mais pouvant accommoder quatre soldats, de sorte qu'on augmente la capacité de la chambre, mais certainement au prix d'un encombrement considérable. Ailleurs, cependant, on semble s'en tenir aux règles habituelles.

Tel est donc le logis du soldat en caserne aucune intimité et bien peu d'espace. Seuls les sergents, qui logent avec eux, mais à part, ont un lit simple et jouissent du privilège d'une cloison de bois. Pour chauffer, vu la rigueur de l'hiver au Canada, on opte à Québec pour un poêle en fonte avec tuyau au lieu de la cheminée traditionnelle. À Louisbourg, où l'humidité est redoutable, on mentionne l'ajout de plaques de cheminée pour réfléchir la chaleur de l'âtre, mais les soldats doivent quand même dormir avec leur uniforme en hiver. Il est peu probable que l'on « décore » la chambre, mais on insiste sur l'ordre et la propreté. Il faut ajouter encore à ce chapitre qui touche à la vie domestique, que l'influence féminine ne se fait pas sentir dans les casernes françaises, puisque les femmes n'y sont pas tolérées contrairement à l'usage britannique.

Tout ceci peut sembler bien spartiate aujourd'hui. Ces conditions de logement, meilleures à Québec, plus difficiles à Louisbourg, ne correspondent plus aux critères de confort moderne. Elles étaient cependant au moins aussi bonnes que celles des garnisons en France à la même époque. Par comparaison avec les masures surpeuplées de tous les pays d'Europe que montrent les gravures et tableaux de leurs contemporains, on peut dire qu'en définitive les soldats, en Nouvelle-France, avaient des conditions de vie convenables pour leur temps.